DOCERE

Vincent La Soudière

« Si tu veux marcher droit, emprunte les voies les plus tortueuses, les plus insolites, les plus impropres à la vitesse, et tu trouveras ton voyage à toi, secret et impartageable. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 13

« Seul, tu peux soulever le monde. À deux, il arrive toujours un moment où l'un doit porter l'autre qui pèse alors plus que le monde. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 13

« Contre les pensées de mon cerveau et l'angoisse affolante qu'elles engendrent, la fatigue physique m'a toujours été d'un grand secours : elle dissout jusqu'à l'esprit, étourdit par des paires de claques sa folle clairvoyance. Ma conscience se trouve alors estourbie, assommée par la pesanteur de la fatigue. Toutes choses semettent à voguer avec égalité, déliées de leur pacte avec la Rigueur. Le calvaire de la conscience est neutralisé par la sensation des courbatures du corps qui occupent le devant de la scène et relèguent au second plan les contractions de mon esprit.
     Ô! bienheureuse fatigue! Que de fois tu m'as sauvé des supplices de ma logique, de l'échec-et-mat de ma pensée. N'es-tu pas quelquefois le lointain reflet d'une Valeur, le plus humble avatar de la Foi? »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 14

« Les choses indicibles, qu'elles restent indicibles. Il faut bien quelque chose à soustraire au fleuve de mots qui nous inonde. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 15

« Nous n'avons qu'une patrie, surnaturelle. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 16

« La véritable liberté est d'être enchaîné par des chaînes de lumière à ce qu'on a choisi pour sa plus haute aspiration.
     Dès lors, le plus haut, le plus beau, le plus vrai ne peuvent plus nous échapper. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 16-17

« Tu m'as volé mon cœur et m'as appelé par mon nom pour la première fois.
Un frémissement t'a répondu.
Une brise inconnue s'est levée en moi, faisant vibrer ma harpe secrète; puis elle a cessé. Mais je me souviens, et j'attends... »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 17

« Monde de sacs et de valises, non de voyages. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 17

« Mieux vaut encore embrasser son destin, sinon les forces noctures du chaos s'abattraient sur l'homme téméraire. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 18

« Je n'ai pas assez de violence en moi pour lutter avec ce monde. J'aurai toujours le dessous. Il me faut donc me réfugier hors de ce monde, là où personne ne réside. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 18

« Si l'amour n'a pas traversé d'épreuves décisives, resté longtemps plongé dans la fournaise de flammes, il ne peut se flatter de s'appeler l'« amour. » »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 20

« Ce n'est pas en t'y efforçant que tu guériras. Prends à pleins bras ton malaise ou ton angoisse, et ramène-les sur toi, avec dignité, comme une toge. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 21

« On ne peut pas aller contre : vivre, c'est essentiellement souffrir. Souffrir à en périr. Souffrance mystique, car il n'en est pas d'autre.
     Rien de commun, rien de vulgaire dans la souffrance des hommes. Si on la comprend bien, elle devient phare, phare unique.
     La souffrance est un mirroir tendu par un ange - savoir lire, alors. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 21

« Aimer? Oui, mais dans un autre univers, avec d'autres corps. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 22

« Tout me touche et m'émeut et en même temps tout m'est indifférent. Je ne défendrai aucune cause. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 23

« Tu auras passé ta vie à te promener, privé de toute adhérence sociale, sans femme et sans enfants. Ne te plains pas surtout; le destin t'a été plus favorable qu'à beaucoup d'autres. Il faut savoir oublier beaucoup? Tu n'as presque rien retenu. Faut-il prendre ses distances par rapport au monde? Il me semble que tu ne fais presque plus rien ni pour ce monde, ni contre ce monde. Tu as eu l'esprit ailleurs. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 25

« À une personne joviale, on demande peu. De quelqu'un de morose, on attend l'intelligence et la profondeur. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 25

« J'ai tourné le dos à toutes choses, hormis à Dieu, l'ami de l'intérieur qui n'aura jamais besoin de se laver les mains.
     Ô! Christ, fais-moi voir ton salut! »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 27

« Une grande tristesse engendre une grande détresse; qui se mue en appel, en génie, en sainteté...
     Sans blessure originelle, point de talent, point de génie. À l'heure de mourir, on se casse encore la tête contre les murs. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 28

« Ils ne me laissent plus le temps d'entrer dans Ton silence. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 30

« Être trainé dans la boue ne serait-ce que cinq minutes, remet les choses en place et nous met à notre place.
     Qui n'a pas connu le plus bas, ne saurait prétendre même accéder à la surface. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 31

« Sous ses dehors frénétiques, le monde se meurt de lassitude. Toutes les pensées ont été essayées, tous les gestes; toutes les poses ont été prises. La bille s'est posée successivement sur les trente-six numéros de la roulette et nul n'a gagné quoi que ce soit. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 31

« Les plus vieux textes sanskrits ne parlent que de sacrifices et de liturgie; et d'offrandes et de rituels. Preuve que le religieux vient avant la métaphysique, que l'éthique vient avant le philosophique.
     Penser est d'abord chose sacrée, gestuelle divine. Les développements ultérieurs s'en ressentent. Leur statut autonome est une perversion regrettable. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 34

« Plus le destin règne sur une vie, plus celle-ci est affirmée. Sans destin (mais c'est un état limite qui n'arrive jamais), l'être se décomposerait dans une ipséité mortelle. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 35

« J'aime marcher hors des pistes; c'est d'ailleurs la figure de ma vie : être ailleurs. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 36

« La vie n'est que souffrances et renoncements. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 40

« Le Malheur a frappé à ta porte, mais t'a épargné; il a manqué la cible en toi. Tu ne souffres que d'écorchures légères et peines de coeur. Tu n'es pas un favori du Malheur. Accepte-le avec simplicité. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 40

« S'il faut une échelle et des jumelles pour apercevoir la vérité, c'est que ce n'est pas la vérité. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 41

« La solitude, c'est de ne pas pouvoir donner. Le plus démuni d'entre nous a encore quelque chose à donner; mais on lui a appris le contraire. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 41

« Je me suis toujours retenu. Jusqu'à mon souffle. Timidité métaphysique qui peut entraîner la mort. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 46

« Je m'ébattais sur les hauteurs, quand un aigle se cargea de m'en faire descendre, si bas, si bas que je mordis la vase des bas-fonds.
     Aigle diabolique qui périodiquement me renverse quand je suis en pleine ascension. Il fait désormais partie de mes connaissances; presque un ami, tant ses visites sont fréquentes.
»

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 48

« Chacun habite une cabine à soi seul, de son voisin isolé comme par des milliers de kilomètres. Je l'ai vu crier à l'intérieur, je l'ai vu appeler, supplier, se mettre à genoux. Mais toute voix restait inentendue. Cabines massivement comprimées dans le métro, par exemple. Les amoureux mêmes ne se touchent pas, ne s'entendent pas. Dans les couloirs, des centaines, des milliers de cabines en mouvement qui se croisent, qui se frôlent, qui glissent les unes à côté des autres.
     Aucune main ne peut s'étendre vers une autre.
     À l'air libre, c'est la même chose. On s'y asphyxie.
     Un peuple de cabines.
     C'est cela être moderne. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 53

« Nous sommes fait pour Toi, ô vertigineux Amour. Appelle tes brebis, elles reconnaîtrons ta voix. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 60

« L'esclave des temps anciens pouvait s'en prendre à son garde-chiourme ou même au supérieur de celui-ci. L'esclave des temps modernes ne peut plus s'en prendre à personne puisqu'on leur a expliqué qu'il est le pouvoir même et que la révolte est impensable, voire impossible.
     J'ai choisi d'être l'esclave des temps anciens. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 61

« Nous faisons semblant de croire à l'avenir alors qu'il est presque tout entier derrière nous. Si l'on était vraiment convaincu de cette idée, la vie en serait allégée, presque heureuse, si tant est que presque tous nos maux proviennent de la foi dans ses possibilités indéfinies de distribuer des plaisirs toujours renouvelés. Une sorte de « Père Noël », en somme, qui s'agenouille devant le mythe du Progrès.
     Cette croyance est devenue banale, qui veut la perte de l'homme. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 61

« Nous ne sommes plus à l'âge de l'éloquence, mais à celui de l'aboiement. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 65

« Nous avons « connu que nous étions nu ». Pour avoir cédé à l'appel du serpent, nous sommes tombés au-dessous de nous-mêmes. Nous tâtonnons à présent dans le monde des ténèbres et des ombres. Nous avons mangé des pans de nuit entiers, dont chaque parcelle contenait du poison.
     Nous voilà loin du petit d'homme qui dort dans son hamac en suçant son pouce.
     C'est pourtant lui qui a raison. C'est à lui, en tout cas, que je remets ma cause, en souhaitant qu'il ait pitié de moi. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 72

« Le premier « objet » de la pensée, c'est l'Absolu. L'unique nécessaire. Le reste n'est que transactions et petite monnaie. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 75

« Le briquet ne prend pas sous un vent pluvieux. Mais la flamme intérieure tiendra tête à toutes les tempêtes. Elle procède du feu central. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 76

« Ce n'est qu'en toi et en toi seule que tu trouveras les deux ou trois évidences qui seront les colonnes de ta vie. Cela peut prendre du temps. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 77

« J'ai toujours eu peur d'engager le combat, c'est pourquoi ma vie n'a été qu'une défaite perpétuelle. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 81

« Le museau vers le ciel étoilé, j'appelle, j'attends.
     Nous sommes des milliards à ne pas comprendre, dressés vers le ciel comme le chien vers la main de son maître. Et l'approche de l'aube fera taire nos muets appels.
     Par-dessus les provinces de ce monde se parle un Esperanto de désespoir. Nous avons tout perdu et, le jour, cherchons des épluchures dans les mares et la fange.
     Nuits illuminées des grandes villes, consommatrices aveugles de kilowatts, fêtes sauvages et sans mémoire, à quoi, à qui destinez-vous vos magies convulsées ?
     Hérésies incarnées de la Haute Finance, vous distribuez en miettes votre gâteau géant pour affamer les peuples en mal d'être. Cependant qu'un Prince noir, nu avec une ceinture de crocodile, parcourt à haute foulées votre monde et le mien, et en prend les mesures. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 83

« Le « moi » collecteur et centripète est la peste de tous les peuples. Dans cette perspective, que veulent dire les formules comme « rentrer en soi-même », « connais-toi toi-même », se recueillir ou, tout simplement, développer la vie intérieure? Tout cela est absurde et sans portée si, au fond de soi, on ne recontre pas un autre, l'hôte silencieux qui fait taire le « moi » et qu'on trouve aussi au dehors, la présence incirconscriptible qui brûle tout et révèle tout. Interior intimo résume le génie d'Augustin, comme le Monos pros monon celui de Plotin. À nous d'écouter la source secrète, à l'écart du « moi ». Sans autre appui que la présence de l'Étranger inespéré. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 87-88

« L'esclavage représente le plus haut degré d'accomplissement. Je veux dire l'esclavage de ceux qui ne peuvent plus s'échapper à la gloire et à la béatitude de Dieu. De là, la recherche effrénée d'un esclavage, quel qu'il soit, à quelqu'un, à quelque chose, à une cause. Parodies de l'esclave céleste. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 88

« L'homme se traîne et agonise autour d'un puits de lumière qu'il prend pour la nuit. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 90

« Je cherche ma naissance devant moi ou derrière moi; elle est au-dessus de moi. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 90

« Celui qui est doué par la nature d'une grande intelligence, se doit d'épouser les façons, les manières de voir, l'humilité, et jusqu'à l'accent de ceux qui sont moins doués. Il doit paraître moins intelligent. Le contraire enlèverait quelque chose à son intelligence. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 91

« Plus loin on va, moins on pose de questions. Tout au bout, une lumière qui éclipse toute question. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 93

« Tu n'as point à craindre le mensonge des autres, toi qui t'es toute ta vie menti à toi-même. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 93

« Le malheur embrasse plus étroitement que l'amour.
     Ses secrets sont plus brûlants, plus ardents, plus profonds que ceux de l'amour.
     Mais je n'ai rien choisi : le malheur m'échut en place de l'amour.
     Je le chéris encore : c'est mon unique bien, ma seule richesse, mon seul repère dans le désert de ce monde.
     J'ai manqué l'amour.
     Je reçus peut-être d'avantage. »

— Vincent La Soudière, Brisants, éd. Arfuyen, p. 99